LES NUITS BLANCHES DE SAINT-PETERSBOURG
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.



 
AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  RechercherRechercher  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
Le deal à ne pas rater :
Pokémon EV06 : où acheter le Bundle Lot 6 Boosters Mascarade ...
Voir le deal

 

 Mikhaïl Andreïevitch Kristianov

Aller en bas 
4 participants
AuteurMessage
Mikhaïl Kristianov

Mikhaïl Kristianov


Messages : 64
Date d'inscription : 12/02/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 4:22



MIKHAÏL ANDREÏEVITCH KRISTIANOV
starring Sean Bean après des heures de discussion intensive


IDENTITÉ

NOM : Kristianov
PATRONYME : Andreïevitch
PRÉNOM : Mikhaïl
AGE : 50 ans
DATE DE NAISSANCE : 18 avril 1760
LIEU DE NAISSANCE : Saint-Pétersbourg
HABITE : Saint-Pétersbourg





MÉTIER ET RANG

Je suis duc, et ce depuis ma naissance. Conseiller à la Cour, je ne suis néanmoins pas l'un des plus importants personnages, davantage en retrait depuis qu'Alexandre a pris le pouvoir. Je n'ai rien contre la personne, mais n'apprécie guère le tsar, ni la façon dont il gouverne. Pour l'instant, plutôt que de m'opposer franchement à lui, je me fais discret ; de toute façon, cela fait bien longtemps - deux ans, en réalité - que je ne me préoccupe presque plus de politique.


PHYSIQUE

Mon physique, je ne m'en suis jamais vraiment soucié. Je n'ai jamais éprouvé le besoin de séduire des courtisanes ou de jeunes nobles débauchées, Irina me suffisait amplement. De là à dire que je me suis toujours contentée d'elle, ce serait mentir, lors de ses grossesses par exemple, il est vrai que j'aie pu aller voir ailleurs... Mais bref, le sujet n'est pas là ! La chose la plus remarquable sur mon visage, ce sont mes yeux. Bleus autrefois, ils sont devenus gris lorsque je suis sorti de l'enfance, ce qui a encore davantage accentué leur froideur et leur détermination. Je les préfère ainsi ; ils m'aident à conserver ce masque que je soigne si précieusement, pour des craintes si futiles désormais.

De même, toujours pour accentuer ce masque et mieux m'abriter, je me laisse pousser la barbe, excellent moyen de me rendre plus bourru et inaccessible. Cela complète parfaitement mon apparence assez impressionnante ; je n'ai pas à me plaindre de ma carrure. J'ai suivi une éducation militaire et cela se voit : massif, musclé, je ne parais pas maigre malgré mon mètre quatre-vingt-huit, et j'ai toujours été imposant. Les cours de combat, principalement à l'épée, m'ont rendu souple, plus souple qu'on ne pourrait le croire, même si je serai toujours plus lent que quelqu'un au physique réellement svelte. Mais en réalité, mon physique est aussi mensonger que mes paroles. Il ne faudrait pas grand-chose pour me trouber et m'ôter tous mes moyens. Une parole bien placée... Une pique suffisamment élaborée. Je craindrais cela si je ne m'étais pas employé depuis bien longtemps à dissimuler toutes mes faiblesses.


CARACTÈRE

Si peu de gens me connaissent réellement. Si peu de gens savent qui se cachent derrière la noblesse de mon nom. J'avance masqué depuis mon plus jeune âge, depuis que j'ai réussi à comprendre dans quel monde je devrais évoluer. Je me dissimule derrière une façade froide, sévère, infranchissable, ma seule protection contre les requins de la haute noblesse. C'est le défaut de la vie d'un privilégié. On ne peut pas tout avoir. Il faut se battre si l'on veut conserver son honneur, et aujourd'hui, je peux affirmer avec fierté que l'honneur des Kristianov n'a jamais été entaché, grand bien m'en fasse.

Je suis excessivement émotif. Je suis excessivement attaché aux êtres qui m'entourent, que ce soit négatif ou positif. Si je parais impassible, au fond de moi tourbillonne toujours un amour dévorant, ou une haine passionnée, ou une amitié indéfectible, ou n'importe quel sentiment auquel je devrai obstinément résister, parce que je refuse de montrer ce que je ressens aux gens. Ce qui est certain, c'est que je ne suis jamais parvenu à être indifférent, ni à me montrer raisonnable, j'ai toujours poussé les émotions à leurs extrêmes limites. Je ne pouvais pas les canaliser et n'en montrer qu'une partie, c'était tout ou rien. J'ai décidé que ce serait rien. Je ne suis pas assez fou pour afficher ouvertement mes ressentis, et par là-même mes faiblesses, à n'importe quel rival ou domestique !

Alors je me renferme, je me construis ma carapace, je passe pour un être froid et insensible alors que j'en suis le plus parfait contraire. Je m'en moque ; peu m'importe ce pour quoi on me prend tant que ma femme et mes filles sont heureuses. Le bonheur de mes proches est au fond tout ce qui m'importe. Même la politique, je ne m'y intéresse que pour maintenir notre rang, afin que nos filles aient une vie décente lorsqu'elle seront mariées, invitées à la Cour du Tsar, parées des robes et des bijoux les plus somptueux. Rien moins, oui, mes trois anges méritent cela et peut-être même mieux ! J'ai oublié, depuis le temps, que le bonheur ne se mesure pas simplement aux relations, et pour moi, il ne fait aucun doute que c'est en étant d'un rang digne de leur beauté et leur intelligence qu'elles seront heureuses.

Même mes propres filles, la chair de ma chair, ignorent qui je suis réellement au plus profond de moi. Elles sont jeunes et étourdies, beaucoup trop tête-en-l'air à mon goût, et je n'ai pas envie qu'elles laissent échapper quelque chose à propos de l'attachement que je ressens irrésistiblement pour elles. Ce sont mes enfants, comment pourrait-il en être autrement ? Seulement un noble a toujours des ennemis, même s'ils lui sont inconnus, et je ne veux pas que l'on puisse m'atteindre par elles. De même, jamais je ne montre plus que nécessaire l'amour fou que j'éprouve pour ma femme lorsque nous sommes en public, me contentant des gestes appropriés, évitant les propos déplacés. Au fond, je suis jaloux de tous les hommes qui m'entourent, et la peur qu'on me les prenne est permanente. Alors je m'en éloigne... Je m'en éloigne pour que l'on pense que me les enlever serait inutile vis-à-vis de moi. Je ne me doutais pas que cette attitude me ferait perdre mes trois enfants ! Et pas à cause d'un tiers, non. Simplement par leur haine à mon égard. Je ne m'en rends toujours pas compte, et peut-être mon aveuglement est-il nécessaire à ma survie, au fond.

Les personnes qui me connaissent réellement sont donc rares et vont en s'amenuisant. En réalité, de nos jours, il n'en existe plus qu'une : ma chère et tendre femme, mon pilier, mon soutien, mon amour, celle sans qui je ne serais rien. Ma bien-aimée Irina Aleksandrovna. Mes parents sont morts, l'un à la guerre, l'autre de chagrin, ma fratrie n'a pas survécu et j'ai été élevé comme un fils unique. Ce mariage que j'ai contracté à mes vingt-trois ans était certes arrangé, mais cela ne nous a pas dérangé. Nous nous connaissions depuis notre plus tendre enfance, et il m'a paru logique d'épouser celle que j'avais toujours protégé. Notre relation, qui était plutôt fraternelle à l'origine, s'est rapidement transformée pour devenir un véritable amour, de celui qui unit les couples dans les romans à l'eau de rose, ces mêmes romans que j'interdis à mes filles de peur qu'elles ne s'illusionnent trop. Je sais que j'ai eu de la chance d'avoir Irina, et qu'un amour pur, sans taches et sans disputes est d'une grande rareté. Alors je préfère qu'elles ne puissent pas s'imaginer avoir le prince charmant trop facilement. Je suis là pour m'occuper de cela, n'est-ce pas ?


LIENS





    IRINA KRISTIANOV
    J'ai grandi aux côtés d'Irina, et j'ai toujours voulu la protéger et prendre soin d'elle. Maintenant que nous sommes mariés, c'est plutôt l'inverse qui se produit. On ne peut jouer totalement la comédie, et elle est mon support, celle qui me permet de m'épancher et de supporter la pression que je me suis imposé à moi-même. Bien que notre mariage ait été arrangé, je l'aime profondément, passionnément, et je ne saurais me passer d'elle. Elle me conseille en toutes circonstances, mais malheureusement, je ne l'écoute jamais, sans vraiment savoir pourquoi. Je sais pourtant qu'elle a raison, principalement au sujet des reproches qu'elle me fait quant à mon comportement vis-à-vis de mes filles, mais je ne sais comment changer. Je ne sais si j'ai le droit de vraiment les aimer sans danger. Et de crainte pour elles, je préfère m'obstiner dans ma comédie, même si garder ce masque est devenu plus difficile ces dernières années. J'ai la drôle d'impression qu'Irina est plus virulente dans ses commentaires à mon égard depuis maintenant bien longtemps. Pourtant, elle ne pourrait cesser de m'aimer, n'est-ce pas ?
    ANASTASIA KRISTIANOV-NOUCHKINE
    Anastasia est ma deuxième fille et sans aucun doute ma préférée. Je m'y suis attaché lorsqu'elle n'était encore qu'un bébé, parce que j'ai eu la peur terrible de la perdre à cause de sa santé fragile. Néanmoins, en contrepartie, je suis plus sévère avec elle, afin d'être certain que mon amour pour elle ne transparaisse pas. Je l'ai souvent grondée et sermonnée pour son comportement, mais en réalité c'est parce que je suis et ai toujours été terriblement inquiet pour elle. Ce n'est pas ainsi qu'une dame doit se comporter, et je ne supporterais pas que l'on lui en veuille à cause de sa personnalité.

    Je suis en train de perdre ma fille. Contrairement à ce que tout le monde croit, je vois bien qu'elle s'éteint, mais je ne comprends pas pourquoi. Aveugle, je refuse de croire que ce mariage que je lui ai fait contracter pour son bien est ce qui la détruit. Je suis en train de perdre ma fille, et ma mascarade va finir par s'éteindre elle aussi, soufflée par l'angoisse que j'éprouve envers elle.
    NATACHA KRISTIANOV
    Natacha est ma petite dernière, ma source de folie, même si elle ignore à quel point sa joie de vivre un peu déplacée dans notre monde me fait du bien. Je l'ai laissée plus libre que ses sœurs, sans vraiment savoir pourquoi, mais le fait que je n'aie pu l'engager dans un mariage comme Ekaterina et Anastasia avant son adolescence y est pour beaucoup, je pense. Je voudrais pouvoir l'élever à un rang méritant, plus méritant que celui qu'elle a déjà, mais je ne me suis pas obstiné comme pour ses aînées, et il est probable que je l'aurais laissée libre de vivre sa vie s'il n'y avait eu cet abominable meurtre. Maintenant, elle est fiancée à Milan, mais l'un comme l'autre refuse catégoriquement ce mariage, si bien que rien n'avance et rien ne se fait jamais. Au fond, je ne sais même pas pourquoi j'insiste. Natacha est ma petite fleur sauvage et je n'ai pas très envie de l'empêcher de pousser à sa guise, mais le meurtre de sa sœur m'a trop perturbé, et je continue sans doute plus machinalement qu'autre chose à essayer de lui faire remplacer son aînée.
    NIKOLAÏ NOUCHKINE
    Nikolaï est mon meilleur ami depuis bien longtemps, et nous avons toujours eu le projet d'unir nos familles. Je lui ai offert l'argent tandis qu'il m'offrait le rang dont j'avais toujours rêvé pour mes filles. Tout comme moi, il n'est pas partisan du Tsar Alexandre Ier, néanmoins, ses idées sont beaucoup plus arrêtées que les miennes. Je me contente de me tenir prêt à retourner ma veste en cas de problème majeur, mais lui compte bien être celui qui les provoquera. Il me pousse et je le suis, car au fond je suis d'accord avec lui, et je ne me rends pas compte de son extrémisme et de sa cruauté, malgré Irina qui m'affirme qu'elle n'a pas confiance en cet homme. Et comme à mon habitude, je ne l'écoute pas. Nikolaï est mon meilleur ami, comment pourrait-il être si différent de ce que je crois ? Je n'ai pas compris que c'était parce que mon masque l'avait trop bien abusé.
    DMITRI NOUCHKINE
    Dmitri m'a toujours paru être quelqu'un de très bien sous tous rapport, et je suis heureux de l'avoir pour gendre. Il ressemble à son père et je ne parviens vraiment pas à comprendre pourquoi Anastasia, à défaut d'en être amoureuse, ne l'apprécie pas. Grand nombre de mariages ne sont de toute façon pas motivés par l'amour, mais apprécier sa moitié est déjà bien, et Dmitri est à mon sens quelqu'un de tout à fait appréciable. De plus, c'est lui qui m'a demandé de remanier les fiançailles de nos familles afin de pouvoir épouser Anastasia, c'est donc qu'il devait vouloir sincèrement se marier avec elle, non ? Comment pourrait-elle s'éteindre ainsi par sa faute ?
    MILAN NOUCHKINE
    J'ai toujours aimé Milan qui me semblait être parfaitement enclin à nouer ce mariage avec Anastasia, et qui est un jeune homme poli, aimable et attentif, bien qu'un peu trop proche du Tsar à mon goût, ce qui a limité mes relations avec lui. Je ne comprends pas pourquoi, s'il a accepté d'épouser Anastasia, il refuse d'épouser sa sœur. Je n'arrive pas à comprendre qu'ils soient tombés amoureux l'un de l'autre, car comment pourrait-il y avoir un réel amour dans un mariage arrangé ? Je reste naïvement persuadé - ou plutôt tente désespéréméent de me convaincre - qu'Irina et moi sommes l'exception qui confirme la règle. Milan s'éloigne de moi, à cause de ce mariage que Nikolaï et moi tentons de lui faire contracter, et je n'arrive plus à saisir l'attention du jeune homme. Quel gâchis, il était si prometteur.



HORS-JEU

COMMENT AS-TU CONNU LE FORUM ? Lawl.
UN PETIT MOT ? J'ai trouvé Dmitri. Ça va saigner.


Revenir en haut Aller en bas
Mikhaïl Kristianov

Mikhaïl Kristianov


Messages : 64
Date d'inscription : 12/02/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 4:23






HISTOIRE

Mon tout premier souvenir date de bientôt quarante-cinq ans. J'étais encore un petit garçon, bien turbulent, et alors que je ne rêvais que d'une chose, aller courir et m'ébattre dans les premières neiges d'hiver qui venaient tout juste de blanchir la Russie, mon père m'avait annoncé que nous devrions aller visiter un ami à lui, une visite qui serait très importante. C'était la toute première fois que je devrais faire attention à mon comportement, avoir une tenue soignée et inconfortable - je suppose que c'est pour cela que je m'en souviens si bien. Auparavant, je pouvais rester jouer avec les autres enfants et les nourrices, alors que cette fois-ci, j'étais au premier plan. En effet, mon père avait décidé de me présenter ma fiancée, âgée de tout juste six mois.

Risible, n'est-ce pas ?

Oui, j'ai toujours trouvé cela un peu ridicule, en y repensant. C'est pour cela que Ekaterina et Anastasia ont connu leurs fiancés bien plus tard, même si elles leurs étaient également destinées depuis leur plus tendre enfance. Pour ma part, quand on m'a annoncé que lorsque je serais grand - ce que grand signifiait, on ne me l'a jamais dit - je me marierais avec ce petit poupin, je me suis contenté de faire la moue, une moue qui en disait long. Je n'étais qu'un petit garçon, bien loin de penser à ces histoires d'adultes, je n'avais même pas encore l'âge de la rivalité garçon-fille, et encore moins évidemment celui de m'intéresser au sexe opposé. Pour moi, ce bébé que je devrais épouser n'était qu'une poupée, une poupée sans intérêt, et les jouets qui me plaisaient n'étaient pas les poupons à soigner avec tout leur trousseau froufroutant, mais les soldats de plomb à aligner et à mener à travers de glorieuses batailles. Ma grimace s'était traduite par une question qui me perturbait profondément :

- Comment pourrais-je me marier avec elle ? Ce n'est qu'un bébé !

- Elle grandira, avait souri mon père. Elle grandira, deviendra un parti magnifique et tu l'épouseras.

Je n'avais pas été très convaincu. Je voyais mal comment une si petite chose pouvait devenir une femme comme ma mère, ou les belles dames que j'admirais en cachette à la Cour, me dissimulant derrière les jupons empesés. Les bébés ne m'avaient de toute façon jamais intéressé. C'étaient aux femmes de s'en charger, de les faire grandir, de les élever, que venait-on m'ennuyer avec cela ? J'avais vite chassé la minuscule Irina Aleksandrovna de mon esprit lorsque mon père et moi étions rentrés à la maison. Je n'ai pas compris l'expression angoissée qu'a eu ma mère lorsque nous sommes revenus, alors qu'elle se penchait sur moi, relevant une mèche de mon front, et me demandant tendrement sans pouvoir cependant masquer l'inquiétude dans sa voix si j'avais été bien sage. J'avais regardé mon père d'un air interrogateur ; je ne savais trop si j'avais été sage, aurais-je dû faire preuve d'un enthousiasme un peu plus débordant à l'entente d'une telle annonce ? Mon paternel avait haussé les épaules et répondu :

- C'est un petit garçon, il n'en comprend pas encore les enjeux, c'est normal. Il a été très poli et sage. De toute façon, étant donné le rang que nous offrirons à leur fille, jamais ils ne rompront ces fiançailles !

Ces paroles étaient sans doute celles qui m'avaient paru les plus obscures de la journée. Mais en l'espace d'une soirée, j'avais déjà tout oublié de ma prétendue fiancée, ce bébé minuscule que mes parents m'avaient certainement attribué par erreur. Ils se rendraient compte de leur erreur plus tard, et moi en attendant, je n'avais qu'à continuer à vivre ma vie comme avant.

J'ai reçu l'éducation que tout duc se doit d'avoir, et malgré mes turbulences de petit garçon, je me suis rapidement assagi. J'aimais apprendre, j'ai toujours eu soif de connaissances. J'ai appris à lire, à écrire, j'ai appris le protocole, comment se comporter en public, en privé avec la famille que je fonderais. Ces questions ne me rappelaient pourtant pas le bébé que j'avais vu à mes cinq ans, et que j'avais totalement effacé de ma mémoire, le jugeant comme un détail insignifiant. Ce fut seulement à mes dix ans que je la revis de nouveau. Elle avait grandi et ressemblait à une poupée de porcelaine ravissante au possible. Sa peau blanche était encadrée de boucles noires rebondissantes, ravissantes anglaises presque irréelles, ses lèvres étaient arquées en une moue boudeuse, ses yeux allumés d'une étincelle frondeuse. Je la contemplai, un sourire amusé aux lèvres. Du haut de mes dix ans, je me considérais déjà comme très intelligent et mature, suffisamment en tout cas pour toiser une petite fille de mauvaise humeur. En réalité, j'avais surtout l'orgueil que peut ressentir un enfant lorsqu'il commence à visiter la cour des grands.

- Je ne veux pas me marier avec vous !

- Pourtant vous êtes plus jolie que lorsque je vous ai vue toute bébé.

- Je me moque de vos avis !

- Quand je serai votre époux, vous devrez m'obéir, que mes avis vous plaisent ou non !

- Vous êtes méchant. Je ne veux pas d'un époux méchant !

Notre conversation s'était arrêtée là sur un haussement d'épaules de ma part. Ce que pensait cette petite sotte de moi ne m'importait guère. Nos parents nous avaient laissés tous les deux dans ma chambre, afin que nous fassions plus ample connaissance, mais après ces quelques mots, nous nous contentâmes de jouer chacun de notre côté. Elle avait ses poupées, j'avais mes soldats, qu'avions-nous besoin de parler ? J'organisai rapidement une bataille que j'avais étudiée en histoire il y a peu en chuchotant les paroles des divers généraux à mi-voix. J'étais tellement absorbé dans ma reconstitution historique que je ne me rendis pas tout de suite compte de son regard pesant sur moi. Je crois que je finis par me retourner en réalisant le silence qui pesait dans la pièce, mis à part ma voix et mes gestes.

- Pourquoi me regardez-vous ? m'énervai-je. Retournez avec vos poupées !

- Je ne peux pas faire ce que vous faites là avec mes poupées, répondit-elle fascinée.

- Vous ne pouvez pas comprendre. Ce ne sont pas des jeux pour les filles. Ce n'est pas un jeu, d'ailleurs, c'est sérieux. Laissez-moi tranquille maintenant.

- Oh non ! Expliquez-moi ! me supplia-t-elle soudain.

Je poussai un long soupir exténué. Elle n'avait que cinq ans, et elle n'était qu'une fille, les femmes n'avaient pas à être concernées par les histoires de guerre. Elle ne comprendrait rien ! Pourtant, je ne sais pourquoi, je lui résumai rapidement l'avancée de la bataille avant de poursuivre mon jeu. Après tout, avoir un public était plutôt plaisant.

Je crois qu'elle n'y comprit pas grand-chose, cependant jamais elle ne m'interrompit, ouvrant simplement de grands yeux ébahis sur mes gestes, buvant mes paroles. Moi, je ne pouvais m'empêcher de jeter de temps en temps un regard sur son petit visage crispé par la concentration. Au fond, j'étais plutôt content d'être devenu soudainement le centre de son attention. J'étais rendu à l'âge où l'on se satisfait de l'attention d'une fille, quelle qu'elle soit. Savoir que cette petite fille que j'hypnotisais avec mes jeux serait plus tard ma femme me donnait un réel sentiment d'importance, même si, encore à cette époque, je ne pouvais me figurer l'importance de ce que signifiait une telle chose.

Depuis cette journée-là, nous nous vîmes de plus en plus souvent. Nous étions terriblement solitaires de part notre rang. Les enfants nés de nobles avaient peu de chances de rencontrer des compagnons de jeux, à moins d'avoir des frères et sœurs, ce qui n'était pas mon cas. Irina devint très vite indispensable à mes distractions. Lorsqu'elle ne pouvait venir, je m'ennuyais terriblement et me renfermais dans une bouderie qui fut le début du masque que j'arbore à présent. Je la considérais comme une petite sœur ; je n'éprouvais pas d'amour, pas encore, ou du moins n'en avais-je pas conscience, mais je la consolais dans ses tristesses, l'aidais à inventer de nouveaux jeux, et surtout, surtout - car c'était après tout là ce qui l'intéressait le plus - je lui apprenais tout ce que je savais en matière de stratégie et de politique, chose à laquelle elle n'avait pas droit de part son statut de femme. Tout ceci en cachette de nos parents, et nul doute qu'ils durent se demander bien des fois pourquoi nous sursautions ainsi lorsqu'ils nous dérangeaient par surprise. Oh, elle ne comprit pas grand-chose au début, elle était trop jeune et se lassait rapidement, mais petit à petit, elle commença à mieux saisir ce que je tentais de lui apprendre, ce qui nous permit d'ailleurs de continuer à apprécier la présence de l'autre même lorsque j'avais quinze ans et qu'elle n'en avait que dix. J'avais totalement oublié que j'étais censé me marier avec elle ; Irina était ma petite sœur, ma compagne de jeux, mais je ne parvenais pas à me dire qu'elle serait un jour ma femme.

J'étais largement en âge de me marier, mais pas elle, et de plus, son père ne désirait pas que sa fille le quitte aussi rapidement. Et depuis mes cinq ans, j'avais tout oublié de ce mariage prévu depuis si longtemps. Je me sentais parfaitement libre, et libre impliquait également de faire ce que je voulais, avec qui je voulais. Évidemment, jamais je ne me serais douté qu'Irina, elle, avait été tenue au courant de cet arrangement par son père, et, du haut de ses treize ans, elle commençait à très peu apprécier mon attitude volage. Les cinq petites années qui nous séparaient étaient à cette époque un fossé infranchissable. Elle rêvait encore d'un mari romantique et d'un mariage d'amour rêvé comme dans ses romans, alors que je me souciais peu de ces considérations et appréciais pleinement la liberté que je commençais à obtenir alors que je n'étais plus obligé de suivre une éducation trop stricte. Je m'éloignais d'elle sans vraiment m'en rendre compte, et elle ne cherchait pas à me rejoindre, trop déçue et vexée du peu d'intérêt que je lui accordais désormais.

Cependant, Irina était Irina, et avait déjà une bonne partie du caractère qu'elle afficherait adulte. Et lorsque, un jour, je la retrouvai chez elle avec près d'une heure de retard, encore essoufflé de mes ébats avec une courtisane, elle décida immédiatement de mettre les choses au point.

Il faut bien avouer que se faire sermonner par une gamine de treize ans qui ne soupçonne même pas la nature de ce que vous faites avec d'autres femmes, même en se doutant de ce que cela implique, est une situation assez comique, cependant, par je ne sais quel miracle, je parvins à me retenir de rire, et en réalité je pense que cela valait mieux pour moi. Elle me hurla dessus sans discontinuer pendant une heure entière, à tel point que son père osa me demander ce qu'il s'était passé entre nous lorsque j'étais arrivé. Je me repris ces fiançailles en pleine figure alors que je les avais totalement oubliées, et ma vision d'Irina changea alors radicalement. Elle avait été ma petite sœur, ma protégée, pendant très longtemps, et à présent que je me souvenais que nous serions un jour mari et femme, je me sentais soudain coupable de l'avoir délaissée si longtemps. Notre relation venait de changer subtilement, et rétrospectivement, je crois que c'est à ce moment-là que je suis réellement tombé amoureux d'elle. Je me suis calmé, je suis revenu vers elle. Nous nous sommes mariés alors qu'elle avait déjà dix-huit ans... Je ne sais par quel miracle cependant, nous n'avons rien fait de répréhensible avant cette période. Malgré les baisers impérieusement volés par ma fiancée, qui me promettait qu'un jour, elle réussirait à me dérider en public. C'est probablement la seule et unique chose à laquelle elle n'est jamais parvenue.

Elle n'est pas tombée enceinte très rapidement, au bout de cinq mois seulement. Cela commençait sérieusement à nous effrayer et ce fut probablement ce qui provoqua cette attitude que j'eus envers Ekaterina, puis Anastasia et dans une moindre mesure, Natacha. Un amour débordant, une surprotection, l'assurance qu'elles auraient une belle vie, de bons maris. J'ai été heureux lorsque Ekaterina est née, car cela me permettait de nouer définitivement ma famille à celle de Nikolaï Nouchkine qui avait déjà deux fils. Elle était mon premier enfant, que j'avais attendu trop longtemps pour l'époque – le jeune âge d'Irina n'avait guère d'importance, l'on comptait à partir du mariage et des femmes avaient déjà été trois fois mère à dix-huit printemps – et je l'ai gâtée sans compter jusqu'à la naissance de sa sœur.

Anastasia m'a fait subir les pires affres de ma vie, généralement involontairement, et en réalité c'est sans doute pour cela qu'elle est ma préférée. J'ai vécu angoissé nuit et jour pendant très longtemps, alors que je la surprotégeais désespérément, entourant sa santé fragile de barrières plus solides que l'acier. Aujourd'hui encore, la voir pâle, hâve, maladive m'inquiète terriblement ; je me demande parfois si sa fragilité lorsqu'elle était bébé ne l'a pas rattrapée. Je me suis toujours davantage occupé d'elle. En contrepartie, elle fut aussi celle avec laquelle j'ai été le plus exigeant. Maintenir cette distance, quoiqu'il en coûte, faire oublier aux autres ce que peuvent être mes faiblesses, parce que malgré mon apparence, je sais que je ne pourrais résister à une attaque trop bien menée.

Pourtant, je cessai de m'inquiéter pour elle au bout d'un long moment – au moins relativement. Jusqu'alors, je ne m'étais pas soucié du sexe de mes enfants. Finalement, avoir deux filles était plutôt une bonne chose, puisque les deux aînés de Nikolaï étaient des fils. Mais lorsque mon inquiétude pour Anya diminua, je me pris à rêver d'un fils. J'avais beau adorer mes deux enfants, je n'étais pas réellement proche d'elle. Je n'avais pas à m'occuper d'elles et prendre part à leur éducation, du moins pas de près. Même si Anya, par la suite, se révéla assez garçon manqué dans ses activités et me permit de combler un peu ce manque, cela me semblait trop incorrect pour que je puisse réellement en jouir. Non, je voulais un fils pour pouvoir assurer mon nom, pour le suivre dans son éducation, pour avoir quelqu'un qui suivrait mes traces au même titre qu'Irina avait ses filles pour elle.

La mort de notre troisième enfant était déjà une terrible épreuve en soi. Mais lorsque nous sûmes en plus que c'était un garçon que nous avions perdu, cela me fit sombrer dans une mélancolie sans fin. J'avais toujours été assez lunatique et il ne fallait pas grand-chose pour me faire changer d'humeur. Peut-on réellement dire que la perte d'un fils tant attendu n'était pas grand-chose ?

Ces quatre années d'affliction furent ce qui m'éloignèrent définitivement de mes deux aînées. La quatrième grossesse d'Irina ne parvint pas réellement à me faire sortir de sa torpeur, et je ne restai même pas à la maison le jour où elle accoucha, trop effrayé à l'idée des conséquences si j'espérais trop. Mais néanmoins, ce dernier bébé était en pleine santé. Natacha, c'était un joli prénom, non ? Mais également désespérément féminin.

- Je suis désolée, Mikhaïl.

- Tu n'y es pour rien. Et elle sera aussi belle que ses sœurs. Je n'ai pas besoin de fils. Nous avons encore tout le temps d'avoir d'autres enfants.

Mais Irina n'est jamais retombée enceinte. J'ai tout de même réussi à sortir de ma mélancolie en m'attachant de nouveau à l'éducation et l'avenir de mes filles, exceptée Natacha, que j'ai laissé grandir un peu comme elle le voulait. Sans doute trop déçu qu'elle ne soit pas le fils dont j'aurais voulu m'occuper. Néanmoins, je ne pouvais m'empêcher de les aimer, les adorer, toutes les trois. Ekaterina, ma petite fille prodige que j'avais attendu si longtemps, Anastasia, ma fragile petite poupée pour qui je craignais tant, et Natacha, ma petite fleur sauvage qui apportait un parfum de liberté à travers la maison. Elles étaient la prunelle de mes yeux, toutes les trois. Même si Katia et Anya étaient déjà destinées à me quitter.

Et donc, bien que j'aurais voulu garder mes petites filles pour toujours près de moi, un jour ou l'autre, il faudrait bien qu'elles rencontrent leurs fiancés. J'en avais conscience, mais je ne parvenais pas à me décider, alors même que je les voyais jouer ensemble innocemment dans le parc du haut de la fenêtre de mon bureau. Elles étaient encore si petites... Si naïves... Je n'avais pas envie de les jeter ainsi dans le monde cruel de la noblesse et des arrangements entre familles. Je sursautai alors qu'Irina entrait, le son de la porte faisant écho à un éclat de rire et un hurlement de protestation d'Anya, que Katia était en train de chatouiller avec, je n'en doutais pas même si je ne pouvais le voir d'ici, son joli sourire joueur aux lèvres. Irina se rapprocha de moi et plaça une main sur mon épaule.

- Mikhaïl. Dmitri et Milan viendront ici dans une semaine. Je m'en suis occupée puisque tu ne te décidais pas.

J'eus un léger soupir.

- Est-ce vraiment nécessaire ?

- Ce n'est pas moi qui ai voulu ces mariages, mon très cher époux, me répondit-elle, la voix tranchante comme de l'acier, en insistant sur le mot époux. Tu sais ce que je pense de ces arrangements qui détruisent pratiquement toutes les femmes. Si tes filles souffrent, il ne faudra pas t'en étonner.

Elle avait douloureusement raison. Et je sentais la critique masquée qu'il y avait dans sa voix. Irina suivait toujours toutes mes actions, me prodiguait toujours avis et conseils, mais à terme, elle ne pouvait rien faire, car officiellement, c'était toujours moi qui devais décider. Et je ne décidais pas toujours ce que nous avions convenus. Déstabilisé au dernier moment. Pris d'un soudain doute, oubliant sa voix. Je me maudissais pour cette incertitude qui était mienne.

- Elles ne souffriront pas. Dmitri et Milan sont charmants. Ils feront de bons maris pour elles.

- Tu as bien de la chance, rétorqua-t-elle d'un ton acide. Pouvais-tu déjà le savoir alors qu'ils n'étaient encore que des enfants, lorsque tu as vendu nos filles à Nikolaï ?

- Je n'ai pas envie de parler de cela, Irina.

- Comme toujours. Pourtant tu vas m'entendre ! Je t'ai laissé faire, même si je ne cautionne pas cela, c'est malheureusement légitime. Mais cesse de te languir sur tes filles. Tu n'en auras que plus mal. Et ce ne serait pas un cadeau que de te le cacher.

Non. Elle ne m'a jamais rien caché, elle a toujours été franche avec moi. Si j'étais son protecteur lorsque nous étions enfants, la situation s'est très vite inversée à partir de notre mariage. Je suis fragile et elle sait lire à travers mon masque, qu'elle hait voir sur mon visage fermé lorsque nous sommes en public. Malgré les apparences, notre jeu d'époux froid et de femme discrète, c'était elle qui menait la danse. Ou presque. Puisque jamais je n'écoutais ses conseils. Elle était particulièrement sévère lorsque je souffrais de mes erreurs et l'était encore aujourd'hui.

Pourtant je ne souffrirais pas de ces mariages, n'est-ce pas ?

Voir Ekaterina s'éteindre ne me fit pas comprendre ce qu'il en était réellement de Dmitri. Je voyais ma fille chérie se faner, se flétrir, devenir de plus en plus lointaine et diaphane. Cependant, jamais je n'ai réussi à abaisser mon masque pour oser venir la voir et la consoler. M'aurait-elle cru, au fond ? Et de toute façon, je désirais encore moins me révéler maintenant qu'avant, alors qu'elles étaient cette fois officiellement engagées, connaissaient leurs fiancés, et apparaissaient encore davantage en public. Je n'ai rien dit. Je n'ai rien fait. Deux ans plus tard, j'ai sévi brutalement avec Anastasia - Ekaterina ne nécessitait aucune prise en main. Désabusée, déprimée, démotivée, elle restait cloîtrée dans sa chambre à s'occuper comme elle le devait, et je me masquais stupidement la vérité en me disant qu'elle avait simplement compris seule qu'il était temps pour elle de respecter davantage les usages. Je ne faisais même pas le lien entre sa descente aux enfers et son accalmie soudaine. Je me suis contenté d'Anastasia, qui elle était toujours aussi exubérante, et après deux ans à continuer à l'emmener à la chasse avec moi, à l'autoriser à prendre des cours d'équitation et de tir à l'arc, j'ai fini par réussir à lui supprimer ces jeux indignes de ceux d'une dame. J'aimais la voir rire, sourire, être heureuse, j'aimais l'épauler dans ces apprentissages débridés, mais je ne voulais pas que l'on dise de ma fille qu'elle n'était pas à sa place, qu'elle ne savait pas se tenir. Aussi ai-je fini par tout lui refuser.

Les colères d'Irina à mon égard étaient de plus en plus fréquentes. Ses accusations me blessaient de plus en plus alors que je les savais vraies. « Pourquoi vendre la jument d'Anya ? » « Pourquoi veux-tu l'empêcher de sortir ? » « L'état de Katia ne t'angoisse donc pas ? » « Mikhaïl, ouvre les yeux, par pitié ! » Mais ils restaient obstinément clos. L'état de Ekaterina m'angoissait, et elle le savait pertinemment. Mais je ne savais pas quoi faire. « Va parler à ta fille ! Avoue-lui que tu l'aimes ! Pourquoi est-ce donc si difficile d'admettre que tu as un cœur ? Pourquoi aurais-je le droit de savoir que tu m'aimes, alors que la chair de ta chair l'ignore ? Sois un vrai père ! Je t'en conjure, Mikhaïl, essaye de voir comme elles auraient voulu un geste affectueux de ta part ! »

Je n'y croyais pas une seconde. Elles n'étaient jamais venues vers moi, ne m'avaient jamais offert un sourire autre que de pure et formelle politesse. J'avais oublié à quel point j'étais impressionnant, moi le père qui avait tout pouvoir sur elles et leur interdisait tout loisir. Pourtant, je m'étais éloigné d'elles volontairement, marquant la distance que je voulais instaurer entre elles et moi, brisant toute affection qui aurait pu s'installer, c'était moi qui l'avais voulu. Pourquoi, déjà ? Au fond, je ne m'en souvenais plus. J'avais de plus en plus l'impression de sombrer dans des erreurs irrattrapables, et je refusais de faire le moindre effort pour m'en sortir. Si j'avais instauré une ligne de conduite, je devais la tenir jusqu'au bout. Raisonnement ô combien absurde ! Je me raccrochais inconsciemment aux branches, et lorsque Irina dépassait une limite qui pouvait me le faire réaliser, alors je fuyais, purement et simplement. Je la plantais là et allais m'isoler jusqu'à ce que je sente que l'orage était passé.

Je commençais à paniquer. D'un côté, j'avais Ekaterina qui se renfermait et se mourait lentement, de l'autre, il y avait Anastasia...

- Père ?

Je relevai soudainement la tête. Il était de plus en plus rare que ma deuxième fille m'adressât la parole. J'étais plutôt heureux qu'elle vienne me voir, même si je n'en montrais rien. Si j'avais su la requête qu'elle prévoyait de me présenter, j'aurais sans aucun doute été beaucoup moins satisfait.

- Assieds-toi, Anastasia.

Elle se rapprocha lentement de mon bureau et s'assit dans le fauteuil qui me faisait face. Elle était crispée, ses mains se tordaient, mais son regard était décidé. J'avais déjà deviné qu'elle voudrait me demander l'autorisation pour quelque chose, il aurait fallu être un imbécile aveugle pour ne pas s'en rendre compte. Nonobstant le fait qu'elle ne venait pratiquement jamais dans mon bureau, je ne l'avais jamais vue aussi nerveuse. Cependant, elle soutint mon regard lorsque je repris la parole.

- Que se passe-t-il ?

- J'ai une demande à vous faire, père.

- Eh bien, demande ! Ce n'est pas en détruisant les manches de ta robe que tu auras une réponse.

Elle sursauta et cessa immédiatement de tordre entre ses doigts la dentelle ornant ses poignets. Elle prit une profonde inspiration et dit d'une voix basse mais ferme :

- Je désire avancer la date de mon mariage avec Milan.

Un long silence s'ensuivit.

Pour moi, cela signifiait « Je veux vous quitter définitivement, je veux vous abandonner. »

Au bout d'un temps interminable, elle reprit timidement la parole :

- Père ?

- Non.

Je répondis sans même réfléchir, la coupant presque.

- Mais enfin, pourquoi...

- Peu importe, Anya.

Le surnom, alors que j'employais un ton de reproche évident, sonnait étrangement dans ma bouche.

- Peu importe pourquoi. Qui décide ici ? Toi ou moi ?

- Vous, bien sûr, mais...

- Alors ne pose pas de questions ! Tu n'as pas voix au chapitre en ce qui concerne ton mariage.

- Je n'ai jamais voix au chapitre, dans aucun domaine !

Je me levai, posant mes mains sur le bureau pour me pencher sur elle. Elle sembla soudain regretter d'avoir lâché cette phrase sous le coup de l'énervement.

- Écoute-moi bien, Anastasia Mikhaïlovna.

Le temps des surnoms affectueux était fini.

- Je n'ai pas à céder à tes petits caprices. Tu n'as jamais su rester à ta place, et alors que tu t'obstines encore à essayer d'échapper à mes consignes en t'enfuyant lorsque je suis absent de la maison pour aller faire je ne sais quelle sottise dehors, tu veux me demander d'avancer la date de ton mariage ? Je devrais plutôt la reculer ! Je ne veux pas que mon gendre ait à se plaindre de son épouse. Tu es très loin d'avoir l'attitude d'une bonne épouse, Anastasia ! Le jour où tu te comporteras correctement, et selon MES critères, pas les tiens, alors peut-être pourras-tu me demander des faveurs comme celle-ci. En attendant, je ne veux plus entendre un seul mot à ce propos !

Elle sembla sur le point de rouvrir la bouche pour me tenir tête, mais elle finit par baisser les yeux et se lever lentement. Je restai tendu, une expression furieuse sur le visage, jusqu'à ce qu'elle fermât la porte de mon bureau. A ce moment-là seulement, je me permis de retomber dans mon fauteuil, me prenant la tête dans les mains, désespéré.

Il y avait deux raisons à la longueur interminable de ces fiançailles : le montant exorbitant de la dot que j'avais promise à Nikolaï, sans compter que les deux mariages se feraient au même moment, mais aussi tout simplement parce que je ne voulais pas voir mes deux anges partir. Natacha serait encore là, certes, mais Natacha ne me suffirait pas. Ekaterina me manquait déjà, toute fanée comme elle était, et Anastasia avait sans conteste toujours été ma préférée, alors que j'avais eu si peur de la perdre après sa naissance. Alors non, je ne voulais pas avancer la date de ce mariage. Mais pouvais-je vraiment délivrer cette excuse à Anastasia ? Elle ne m'aurait jamais cru. J'espérais que Milan ne ferait pas la même demande à son père. Nikolaï insistait lui aussi pour que la date s'avance, si en plus il apprenait que nos enfants désiraient se marier plus tôt, il n'aurait fait que me harceler davantage. J'invoquais comme excuse le montant de cette dot, mais je savais déjà que j'aurais fini de la réunir bien avant la date que nous avions choisie. Dmitri surtout, je le sentais, était de plus en plus impatient. J'aurais pu être content de l'enthousiasme des princes Nouchkine à épouser mes filles, mais en réalité, je me languissais déjà de l'instant où elles me quitteraient.

Plus jamais ma fille n'osa venir me reparler de cela. Je remarquai même qu'elle s'était mise à ignorer Milan, pendant une très longue période. J'ignorais pourquoi et je n'ai pas cherché à le savoir, car, très égoïstement, je me disais que cela servait mes projets, ou plus justement mes envies, à savoir garder mes filles auprès de moi le plus longtemps possible. Tous mes espoirs se brisèrent lorsque Milan eut la bonne idée de tomber malade. Que ma fille me quitte me désespérait, mais moins que de la voir souffrir à en devenir folle comme elle le faisait. Sa crise de nerfs eut raison de ma résistance et je ne sais comment je réussis à garder mon masque devant elle. Cependant, je lui permis d'aller voir Milan.

Ce fut l'une des périodes les plus éprouvantes de ma vie. Pendant deux années entières, alors qu'elle n'était encore qu'un bébé, j'avais craint pour sa vie, terriblement, j'avais eu l'impression chaque jour que ma petite fille risquait de mourir. Je n'avais jamais supporté l'idée de laisser Anastasia aller au contact d'un malade. Chaque fois qu'Irina m'avouait l'avoir laissée voir Milan, j'attendais avec angoisse de ses nouvelles, persuadé qu'elle ne tarderait pas à s'écrouler. J'avais toujours aimé mon futur gendre, mais pendant cette période, il fut l'objet de mes malédictions matin et soir. Je ne sais ce qu'il se serait passé si ma fille était tombée malade à cause de lui. C'était ma plus grande crainte, une véritable phobie, depuis toujours. Je l'aurais littéralement mise sous clé si j'avais pu pour la faire échapper à toute maladie. Je me suis renfermé, devenant de plus en plus lointain, durant cette période. Si j'avais su ce qui arriverait plus tard à ma fille aînée, j'aurais cessé de m'inquiéter de voir ma cadette heureuse.

Car oui, au fond, Anastasia était heureuse. Je voyais qu'elle resplendissait, et cela ressortait d'autant plus que sa sœur était toujours aussi discrète, secrète, maladive et éteinte. Ekaterina... Non, en vérité, nous ne pouvions même pas dire qu'elle se mourait, car ce n'était pas le cas. Les médecins nous avaient formellement dit qu'elle n'était pas malade, que son état purement physique était correct, qu'elle ne dépérissait pas. Simplement... Comment était-il possible de décrire cela ? Elle était, c'était tout. Elle ne vivait pas et ne mourait pas, elle était, telle un fantôme, restait parmi nous sans vraiment faire partie de notre monde. Elle s'effaçait tant et si bien que je l'oubliais inconsciemment pour ne plus me concentrer que sur Anastasia, délaissant également Natacha qui en profitait pour pouvoir faire tout ce que ses sœurs n'avaient jamais eu le droit de faire à son âge. Elle n'était liée à personne et je la laissais vivre sa vie. Certainement pour me déculpabiliser de ce que j'avais fait subir à ses sœurs, au fond. Alors je n'avais plus qu'Anastasia, et ma petite fille me quittait, s'éloignait, ne rêvant plus que de son fiancé et de son mariage. j'aurais dû en être satisfait. C'était ce que j'avais voulu, depuis le début, comme cela s'était déroulé entre Irina et moi. Mais au fond, j'étais jaloux. Et donc, alors que j'aurais dû m'inquiéter pour Katia et sourire du bonheur d'Anya, j'oubliais mon aînée pour refuser de voir d'où le problème venait et je jalousais Milan de savoir rendre ma deuxième fille heureuse.

Si j'avais su. Mais avec des si, l'on pourrait refaire le monde. Ce n'était pas avec des si que je remonterais dans le passé pour rattraper mes erreurs. Ce n'était pas avec des si que je sauverais la vie de Ekaterina.

Irina était couchée, mais ne dormait pas encore. J'étais installé au secrétaire de la chambre, écrivant une lettre adressée à... je ne sais plus. Et finalement, cela n'a pas la moindre importance. Cette lettre n'est jamais partie.

Le hurlement interminable de Natacha hante encore mes nuits.

Irina s'assoupissait à peine et s'est relevée instantanément, sursautante. Ma plume a dérapé et l'encrier s'est renversé, tachant le secrétaire d'une marque noire indélébile. Je me suis immédiatement levé en lui ordonnant de rester ici. Comment aurais-je pu imaginer une chose pareille ? Je pensais plutôt à un voleur ou un criminel quelconque - et mes trois filles étaient à l'autre bout de la maison, là d'où avait résonné le hurlement de Natacha. Je priais Dieu pour pouvoir les rejoindre à temps, alors que je courais en direction de leurs chambres.

Au début, je crus même que mes trois filles étaient mortes. Milan tenait Natacha et Anastasia couvertes toutes les deux de sang, à genoux par terre, tremblant si violemment qu'elles semblaient presque agitées de soubresauts dans ses bras, comme si elles avaient été encore agonisantes. Dmitri était plus loin dans le couloir, le regard sombre, totalement figé, fixé sur son frère - c'était du moins l'impression que j'en avais. Je me suis littéralement jeté par terre aux côtés de mes filles, les arrachant des bras de Milan et les serrant contre moi. Et puis, d'une voix vide, absente, lointaine, Dmitri prit la parole :

- C'est Ekaterina qui est morte.

Il avait parfaitement compris ce que j'avais cru au premier abord. Je relevai vivement le visage vers lui, le transperçant de mes yeux acier. Mais son visage était impénétrable. Comme le mien alors que je me relevais lentement.

Irina arriva juste derrière moi. Je la pris dans mes bras et elle se mit à se débattre en hurlant. Je refusais qu'elle voie une chose pareille, car j'avais instinctivement compris que si Anastasia et Natacha avaient autant de sang sur elles alors qu'elles n'avaient rien, c'était que le spectacle de Ekaterina serait totalement insoutenable. Moi-même, je ne savais même pas si j'avais le courage d'entrer dans cette maudite chambre. J'inspirai soudainement et hurlai d'une voix encore plus forte que les cris d'Irina :

- ÇA SUFFIT MAINTENANT !

Je ne vis pas Dmitri sourire très légèrement, personne ne le vit d'ailleurs. Ma femme se tut instantanément, et je lui désignai Anastasia et Natacha évanouies, que Milan avait repris contre lui lorsque je m'étais levé. Alors qu'elle se penchait sur elles sans cependant me quitter du regard, je m'approchai lentement du chambranle, tendu comme la corde d'un arc. Milan m'ignorait complètement, tout absorbé par Anastasia, mais je sentais les regards de Dmitri, de ma femme et des domestiques attirés par les cris peser sur moi. Je passai le seuil de la porte, gardant les yeux fixés sur le mur. Le silence qui régnait depuis mon cri était lourd, trop lourd, et je me retournai soudain brutalement.

- Tout le monde s'en va. TOUT LE MONDE ! Occupez-vous d'Anastasia et Natacha. Jetez-moi leurs robes au feu, allez les coucher.

Personne ne bougea. Ma respiration s'accéléra. Je ne supportais plus la tension qui régnait.

- ALLEZ ! DEHORS !

Tout le monde s'éparpilla comme une volée de moineaux. Dmitri s'avança et prit Anastasia des bras de son frère pour l'aider à les porter. Seule Irina resta à mes côtés.

- Mikhaïl, qu'y a-t-il dans cette chambre ? Qu'est-il arrivé à Ekaterina ?

- Je ne sais pas.

- Comment ça, tu ne sais pas ? Tu n'as même pas le courage de regarder ce qui est arrivé à ta fille ?

- Non.

Ma voix était abrupte.

- Je n'ai jamais eu le courage d'assumer le mal-être de mes filles. Et tu le sais très bien.

Je l'attirai à moi, la serrant dans mes bras. Jamais je n'avais eu autant besoin de son réconfort. Et puis, si soudainement que je n'aurais pu le prévoir, je fondis en sanglots convulsifs sur son épaule. Je n'avais jamais pleuré de ma vie, pas depuis ma plus tendre enfance. Mais là, l'intuition tenace que Ekaterina était morte par ma faute me dévorait le cœur et les entrailles. C'était trop pour que je le supporte.

La maison est restée fantomatique pendant de longs et interminables jours. Irina s'efforçait de rester aux côtés d'Anastasia, qui avait été de loin la plus choquée par la mort de sa sœur. Moi, j'ignorais tout le monde, même ma femme, me contentant de rester cloîtré dans mon bureau. La toute première visite que je reçus après le drame fut celle de Dmitri. J'avais repoussé l'échéance sans cesse, sachant que je n'arriverais pas à garder mon masque censé me protéger. Mais alors que Nikolaï commençait également à insister, j'avais fini par céder.

Et, aussi folle et inconvenante que parût sa demande, je ne m'en rendis même pas compte. J'étais complètement déboussolé. Détruit. Incapable de réfléchir à quoi que ce soit. Ses arguments étaient logiques. Il était désolé de la mort de Ekaterina, mais ne désirait pas pour autant renoncer à se lier à notre famille. Simplement, il songeait au bien-être de Natacha, et estimait que ce n'était pas bon pour elle d'avoir un mari si âgé. Et après tout, les fiançailles choisies à l'origine l'avaient été par ordre de naissance. Pourquoi ne lui accorderais-je pas la main d'Anastasia, à présent ?

Je n'avais même pas réfléchi. J'avais accepté sans même voir les énormes implications de sa demande. Rompre des fiançailles si longues, alors qu'Anya et Milan s'entendaient si bien. Forcer ma petite fleur sauvage, ma petite Natacha, à apprendre tout ce à quoi elle avait échappé jusque là, commencer à lui dicter sa conduite, à la priver de liberté, comme ses sœurs. Même lorsque je dus l'annoncer aux intéressés, je réussis à garder un voile sur ma culpabilité. Cela faisait si longtemps que je m'y entraînais...

Je ne savais comment annoncer la nouvelle. J'avais l'impression que simplement prononcer le prénom de Ekaterina me ferait céder de nouveau au désespoir. Je ne pouvais cependant pas me le permettre, pas devant ma fille, Dmitri et Milan. Je me sentais terriblement honteux à évoquer un projet aussi extraordinairement banal qu'un mariage alors que ma fille aînée venait d'être sauvagement assassinée, mais c'était aussi la solution idéale pour réussir à oublier. Je ne savais plus que faire. J'inspirai profondément et parvins enfin à prendre la parole, alors qu'Anastasia semblait totalement liquéfiée. J'aurais voulu qu'elle contienne mieux ses émotions. Cela aurait été tellement plus facile pour moi !

- Comme tu le sais, ta sœur était censée épouser Dmitri... Malheureusement, sa mort bouleverse nos projets d'avenir pour vous tous.

Son regard suppliant me planta une lame dans le cœur. Elle venait tout juste de se souvenir que sa sœur était morte, et moi, je lui annonçais cela comme ça. Je me fis soudain l'effet d'être un monstre. Irina, en retrait, ne me lâchait pas du regard, un regard noir de colère comme elle n'en avait jamais eu.

- Je ne vois pas en quoi la mort de Katia vient bouleverser quoi que ce soit. Elle est morte, c'est...

- Il était convenu que nos aînés et nos cadets se marieraient entre eux. Suivant l'ordre d'aînesse.

Qu'en avais-je à faire ? C'étaient les arguments de Dmitri, pas les miens. Si Nikolaï avait été contre, c'était lui qui aurait eu la préséance sur son fils, et l'on n'aurait pas réarrangé les mariages. Mais évidemment, tout ce qui importait à Nikolaï était d'avoir la plus grosse dot possible, et pour cela il fallait que ses deux fils se marient avec mes deux filles. Même si j'étais très loin de me douter de ce léger détail. Au fond, pourquoi était-ce à moi d'annoncer cela ? Je maudis intérieurement Nikolaï de ne pas s'en être chargé. Mais il s'en était chargé, en fait. Pour Milan. A moi de le dire à Anastasia.

- Mais qu'est-ce que... Katia était l'aînée... Elle devait épouser Dmitri. J'étais... Je suis la cadette, je...

Je la coupai. Je la coupai avec deux minuscules mots qui sous-entendaient à eux seuls quelque chose de trop énorme, trop horrible, trop désespérant pour que je veuille seulement faire l'effort de mieux le formuler.

- Plus maintenant.

Inspire. Expire. Prends ton courage à deux mains et explicite la situation.

- Tu es maintenant l'aînée, et considérant cela, Nikolaï et moi avons décidé de faire rentrer les choses dans l'ordre. Tu es l'aînée, tu vas épouser Dmitri, et Natacha épousera Milan.

C'était dit. J'aurais cru que le poids qui pesait dans ma poitrine s'allégerait lorsque j'aurais prononcé ces mots, mais il n'en était absolument rien. Surtout lorsque je vis les yeux de ma fille s'ouvrir en grand alors qu'elle regardait frénétiquement tout le monde tour à tour. Milan, Dmitri, moi. J'étais tellement habitué à voir la colère dans ses yeux lorsqu'elle me fixait que sa terreur et son désarroi me frappèrent d'autant plus. Je retins une irrépressible envie d'aller la soutenir alors qu'elle se levait, toute chancelante. Ses bégaiements me donnèrent le tournis. Je savais ce qu'il en était. Je savais parfaitement ce qui la liait à Milan. Si bien que je ne sais absolument pas d'où me vint cette phrase ridicule, grotesque, qui était tout à fait le contraire de ce que je pensais :

- Allons ! Vous n'allez tout de même pas nous faire croire que vous êtes tombés amoureux !

Je disais précisément l'inverse de ce que je savais uniquement pour m'en convaincre. Comment aurais-je pu être assez stupide pour ne pas voir qu'ils étaient amoureux, alors que Milan pleurait silencieusement et que mon Anya était sur le point de s'évanouir ? Je me le répétais comme un mantra. Ils ne peuvent pas être tombés amoureux. Ils ne peuvent pas être tombés amoureux. Ils ne peuvent pas être tombés amoureux. Et je n'y croyais pas une seule seconde. Les protestations erratiques de ma fille étaient en train de me faire perdre pied. Je fermai les yeux, me pinçai l'arête du nez. Je faisais cela pour réussir à me reprendre, me reconcentrer, même si aux yeux des autres, je devais avoir l'air simplement agacé. Je devais réussir à briser ses cris. Je devais absolument réussir à la faire taire, ou sinon je ne pourrais plus tenir. Je n'avais pas le droit de m'effondrer devant eux. Je ne mis pas de gants et prononçai alors la phrase la plus cruelle qui me vint à l'esprit :

- Eh bien, si tu as appris à aimer le premier, tu apprendras à aimer le second. Tu dois pouvoir faire cela, n'est-ce pas ?

Pas de demi-mesure. Au moins cela fonctionna-t-il. Anastasia cessa immédiatement de balbutier, soufflée. Je profitai immédiatement de cette trêve et sortis sur-le-champ, plus que désireux d'échapper à cette scène ô combien pénible.

J'avais douloureusement conscience d'avoir tout juste commis la plus belle erreur de ma vie. Et pourtant, je ne savais même pas encore jusqu'à quel point c'était le cas.

Irina et moi dormions séparément depuis l'assassinat de Ekaterina. Nous parvenions à peine à soutenir le regard de l'autre. je ne supportais plus cette tension qui régnait entre nous et nous empêchait de nous aimer vraiment, mais, en bon lâche que j'étais, je savais que je ne ferais pas le premier pas. Ce fut effectivement elle qui se décida la première - j'aurais dû m'y attendre après la scène qui s'était déroulée sous ses yeux cet après-midi-là mais j'étais tellement perdu et déboussolé que je n'avais même pas pensé à prévoir l'orage qui m'assaillirait ce soir. J'étais à mon bureau mais je ne faisais rien. Elle entra sans frapper et je lui jetai un regard que j'aurais voulu être plein de reproches mais qui était totalement vide. L'abattement me détruisait à petit feu et avait beaucoup progressé aujourd'hui.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Puis-je savoir ce qui t'as pris ? Puis-je savoir pourquoi je ne savais même pas que le fiancé de ma fille avait soudainement changé de nom ?

- Dmitri m'a fait cette demande il y a une semaine. Je n'avais aucune raison de la lui refuser. Je n'avais aucune raison de t'en parler.

Un rire hystérique lui échappa.

- Non, bien sûr, Mikhaïl ! Tu ne me confies jamais rien ! Tu ne me parles jamais de rien ! L'amour qu'Anya porte à Milan n'était donc pas une raison suffisante pour refuser ?

- Dmitri est trop vieux pour Natacha.

- Il était trop vieux pour Ekaterina aussi. Cela ne t'a pas dérangé. Pour Anastasia aussi, il le sera.

- Mais ç'aurait été pire pour Natacha !

- Milan aussi est beaucoup plus âgé qu'elle, et Milan n'est pas amoureux d'elle.

- Ils devaient se marier par ordre d'aînesse. Tu ne m'as pas entendu tout à l'heure ?

- Des fiançailles longues de dix ans me semblent a priori plus prioritaires qu'un quelconque ordre de naissance. Bien sûr, il est possible que je me trompe, ô mon merveilleux époux.

Je me levai brutalement.

- Je ne tolérerai pas que tu me parles ainsi, Irina !

- Je t'ai toujours parlé comme je le désirais depuis trop longtemps pour changer maintenant ! hurla-t-elle. Je ne suis pas une de ces femmes soumises en lesquelles tu espères transformer tes filles, et j'espère bien que tu échoueras, par ailleurs ! Tu deviens complètement fou, Mikhaïl, fou, tu m'entends ? Regarde-toi ! J'ai l'impression que tu te moques de la mort du bébé que nous avons attendus si longtemps, que tu as tant aimé autrefois ! Est-ce que ta comédie est en train de te transformer ? Est-ce que tu es en train de devenir l'homme sans cœur que je hais tant lorsqu'il prend le dessus sur celui que tu es lorsque nous sommes en privé ?

- Ça n'a rien à voir avec ça ! Tu sais mieux que quiconque à quel point je souffre de la mort de Katia ! Je suis totalement détruit et je remonte la pente comme je peux, organiser ces mariages au lieu de me languir sur cet assassinat est un moyen comme un autre. La réaction d'Anya a été inconsidérée parce qu'elle souffre aussi ! Elle n'aurait jamais réagi aussi excessivement en temps normal !

- Ah, tu crois ça ? Veux-tu que je te dise quelque chose, Mikhaïl ? Non, bien sûr, lorsque la vérité est trop blessante, soudainement tu n'écoutes plus rien et tu ne fais que fuir. C'est toi qui a tué Ekaterina ! Toi, toi seul, tu l'as détruite bien plus que tu ne l'es toi-même, tu lui a volé sa jeunesse et sa vie, et si nous n'avions pas eu l'assurance que c'était un assassinat, si le poignard avait été trouvé gisant à côté de son cadavre, je te jure que n'importe qui aurait cru qu'elle se serait suicidée ! Et tu sais pourquoi, Mikhaïl Andreïevitch ? Tu sais pourquoi ? Parce que Ekaterina ne voulait pas se marier avec Dmitri et que c'était pour cela qu'elle n'était plus rien, éteinte, absente, comme morte avant même de l'être réellement ! Tu as tué Ekaterina, et en plus tu es en train de rendre Anastasia complètement folle. Tu sais ce qu'elle m'a dit, cet après-midi ? REGARDE-MOI ! TU SAIS CE QU'ELLE M'A DIT ?

Le silence qui résonna après ses cris ne dura qu'une seconde alors que mes yeux étaient obstinément rivés au sol, une expression choquée sur mon visage. Je l'aurais volontiers étranglée pour qu'elle se taise, mais j'étais physiquement incapable de bouger.

- Elle m'a dit « Mère, où est Ekaterina ? Elle va bien ? J'ai l'impression qu'elle se sent mal en ce moment, ce serait dommage qu'elle ne soit pas en forme pour son mariage ! » Le meurtre de sa sœur l'a rendue folle, au sens le plus littéral du terme, et tu l'achèves avec ce mariage ! Tu as tué ton aînée ! Tu voles la raison de ta cadette ! Mikhaïl, sais-tu qu'à présent, je crains jour et nuit pour Natacha ? Parce que je me demande de quelle manière je perdrai ma troisième fille, à présent que tu as détruit les deux premières !

La gifle me cueillit par surprise et ne me fit même pas mal. Comment aurais-je pu avoir mal physiquement après ce qu'elle venait de m'infliger mentalement ? J'étais totalement soufflé, incapable de prononcer une parole. Elle me saisit brutalement par les épaules et se mit à me secouer de toutes ses faibles forces, en hurlant à en ameuter toute la maison :

- RÉVEILLE-TOI, Mikhaïl, je t'en supplie, réveille-toi ! Ouvre les yeux ! Ouvre les yeux !

Je lui empoignai les bras pour l'immobiliser. Mais ma conscience avait déjà enseveli tout ce qu'elle venait de me dire. Je ne voyais que ma femme en pleine crise de panique que je devais absolument apaiser.

- Calme-toi, Irina ! Calme-toi !

- LÂCHE-MOI ! LÂCHE-MOI !

- Non ! Je t'en supplie, arrête, regarde-moi, calme-toi !

- NON ! NON !

Elle hurlait sans s'arrêter, des larmes coulaient de ses yeux sur ses joues et elle se débattait comme jamais. Ses forces étaient décuplées et je n'arrivais pas à la maîtriser. Et puis soudain, elle s'écroula d'un seul coup dans mes bras, secouée de violents soubresauts, toute combativité envolée. Elle s'accrocha à moi si fort qu'elle me fit mal, et elle pleurait franchement cette fois-ci, abîmant nos vêtements sans que je n'y accorde la moindre importance. Je me mis à la bercer tout doucement, lui embrassant légèrement le front, les cheveux, les joues. Et elle se contentait de gémir :

- Oh seigneur, qu'avons-nous fait de nous... Qu'avons-nous fait de nous... et de notre famille...

Quant à moi, sa crise de panique m'avait donné une occasion superbe d'oublier ce qu'elle m'avait craché à la figure juste avant, aussi sûrement que pendant un temps, Anastasia avait oublié l'assassinat de Ekaterina. Oui, nous étions bel et bien tous en train de devenir fous, par ma faute, et je ne faisais rien pour contrer cela.

J'ai tout accéléré. J'ai tout accéléré car plus les tentatives d'Irina et d'Anastasia se faisaient nombreuses pour rompre ces nouvelles fiançailles, plus je risquais de me souvenir de ce que ma femme m'avait dit ce soir-là, plus je risquais de réaliser à quel point je m'étais enfoncé dans la folie et les erreurs. J'ai avancé la date du mariage, au grand plaisir de Dmitri et Nikolaï, j'ai jeté au feu toutes les excuses d'Anastasia en me pliant instantanément à tous ses désirs, à sa grande surprise et son grand désarroi, annulant les trois quarts des invités qui soi-disant lui déplaisaient, faisant apprêter plusieurs robes de mariage toutes plus sublimes les unes que les autres - et toutes affreusement laides selon elle - modifiant les décorations, changeant d'église au dernier moment parce que le prêtre ne lui convenait pas, avant de finir par en avoir assez de ses caprices et de l'amener franchement de force à ce mariage qui était devenu totalement maudit. Dmitri m'y avait beaucoup poussé sans que je le réalise seulement.

La cérémonie fut une véritable catastrophe doublée d'un scandale, durant laquelle j'ai agi strictement mécaniquement, incapable de réfléchir à mes actes et mes paroles qui me venaient naturellement. Je ne pouvais plus arborer mon masque qu'en agissant sans réfléchir. Si j'avais eu la moindre réflexion sur ce qui se passait autour de moi, la fissure aurait cédé et je serais définitivement devenu fou. Anastasia s'est mariée dans la souffrance et la douleur, et Irina en a été tellement soufflée et abattue qu'elle n'a même pas eu le courage de protester ce soir-là. Ni aucun autre soir.

Déjà deux ans que notre famille est morte, aussi sûrement que Ekaterina.


Dernière édition par Mikhaïl Kristianov le Dim 20 Mar - 9:48, édité 2 fois
Revenir en haut Aller en bas
Mikhaïl Kristianov

Mikhaïl Kristianov


Messages : 64
Date d'inscription : 12/02/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 8:29

FINI, BOUCLÉ, TERMINÉ, ENFIN ! En espérant que ça vous plaise o/
Revenir en haut Aller en bas
Anastasia K. Nouchkine
I love you doesn't mean I forgive you.
Anastasia K. Nouchkine


Messages : 259
Date d'inscription : 12/02/2011
Age : 32
Localisation : Saint Pétersbourg.

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 11:13

Suspect Père indigne...
... Je vous valide officiellement xD
Revenir en haut Aller en bas
https://white-nights.superforum.fr
Vassili Tourgov

Vassili Tourgov


Messages : 45
Date d'inscription : 26/02/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 11:38

Mon futur beau père \o/
Ça va être la joie What a Face
Revenir en haut Aller en bas
Irina Kristianov

Irina Kristianov


Messages : 12
Date d'inscription : 20/03/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 13:26

C'est quoi cette foutue longueur de fiche ? >.<

*sort*
Revenir en haut Aller en bas
Mikhaïl Kristianov

Mikhaïl Kristianov


Messages : 64
Date d'inscription : 12/02/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 13:31

Merci fifille !

Vassili, ça va saigner dans les chaumières What a Face

Irina, va lire celle de ta fille avant de te plaindre !
Revenir en haut Aller en bas
Irina Kristianov

Irina Kristianov


Messages : 12
Date d'inscription : 20/03/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 14:19

Vous voulez ma mort en fait >.<
Revenir en haut Aller en bas
Mikhaïl Kristianov

Mikhaïl Kristianov


Messages : 64
Date d'inscription : 12/02/2011

Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitimeDim 20 Mar - 14:30

o/
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Empty
MessageSujet: Re: Mikhaïl Andreïevitch Kristianov   Mikhaïl Andreïevitch Kristianov Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Mikhaïl Andreïevitch Kristianov
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Famille Kristianov { 0 / 4 }
» Irina Kristianov [U.C]
» Natasha Kristianov ♦ UC

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
LES NUITS BLANCHES DE SAINT-PETERSBOURG :: TELL ME WHAT YOU HAVE AND I WILL TELL YOU WHO YOU ARE :: 
FICHES VALIDEES
 :: Noblesse & Royauté
-
Sauter vers:  
Créer un forum | ©phpBB | Forum gratuit d'entraide | Signaler un abus | Forum gratuit